Au fil de l’eau. Yohanne Lamoulère : Les enfants du fleuve - Les Rencontres de la photographie d’Arles, 2023

Photos : Yohanne Lamoulère

La série Les Enfants du fleuve de la photographe marseillaise Yohanne Lamoulère a été présentée aux Rencontres de la photographie d’Arles en 2023. Les images étaient présentées sur des panneaux extérieurs, disséminés dans le Jardin D’été. Cette série a été produite dans le cadre de la Grande commande photojournalisme de la BNF, intitulée Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire.

Vue de l’exposition à Arles en 2023. Photo : Alain Depocas

La photographe a remonté le Rhône en bateau, sur 812km, depuis la Camargue jusqu’au glacier et, au fil de l’eau, durant quelques mois, elle a réalisé des images argentiques des paysages et des gens rencontrés. La genèse du projet n’est pas banale. Après avoir passé une année entière, durant la pandémie, sur une île sauvage située dans le delta du Rhône, où elle a réalisé des portraits d’enfants et de jeunes adultes, elle a eu envie de remonter le fleuve. Pour ce faire, la photographe a construit une embarcation à partir de matériaux de récupération : Anita, c’est le nom du bateau, naît de la rencontre inattendue d’une péniche abandonnée et d’une vieille caravane.

Photos : Yohanne Lamoulère

En observant ces photographies, on ressent bien que la photographe s’est imprégnée de l’environnement et des gens qui borde et vivent à proximité des rives du Rhône. Il faut du temps, de la patience et de l’implication pour arriver à saisir ce niveau d’authenticité. Les Enfants du fleuve, c’est une série de portraits réalistes, mais parfois aussi humoristiques et poétiques. C’est également, et beaucoup, le portrait du fleuve lui-même. Fleuve environnement, fleuve territoire, fleuve chemin maritime et fleuve géographique.

La présentation en plein air, au Jardin d’été à Arles, des photographies de la série Les Enfants du fleuve rehaussait son intérêt en imposant un parcours dans cet espace public qui incitait le visiteur à découvrir une à une les images, plutôt que d’en avoir une vue d’ensemble immédiate. Ce dispositif donnait du temps aux images, et aux liens entre elles. La proximité du Rhône n’était pas anodine et donnait un supplément de sens à la présence de cette série dans ce lieu.

Photo : Yohanne Lamoulère

Photos : Yohanne Lamoulère

Des images de cette série sont présentées sur le site Web de la photographe.

Ce texte s’inscrit dans une réflexion sur mon intérêt pour des projets photographiques ayant pour sujet des cours d’eau, sur lequel portent deux autres textes, que je vous invite à découvrir :

Lucas Leffler : Zilverbeek - Silver Creek, The Eriskay Connection, 2019

Les cours d’eau comme thématique de certains livres photographiques

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Les cours d’eau comme thématique de certains livres photographiques

Photo : Mark Ruwedel

Certaines thématiques prégnantes se dégagent et relient divers projets photographiques, influençant les choix d’acquisition de livres photographiques ainsi que l’intérêt pour certaines démarches artistiques.

En ce qui me concerne, je ressens un grand intérêt pour des livres photographiques dont la thématique porte sur des cours d’eau.

En voici quelques exemples présents dans ma bibliothèque :

Mark Ruwedel, Rivers Run Through It, Los Angeles: Landscapes of Four Ecologies, Volume 1, publié par Mack en 2023

Ce livre présente des photographies noir et blanc réalisées entre 2015 et 2023, documentant les rivières du bassin de Los Angeles. On y voit la nature abîmée par l’homme, des traces de présence humaine, quelques animaux. Ruwedel documente méthodiquement cet espace qui reste un rare lieu naturel de la ville tentaculaire.

Photos : Mark Ruwedel

Louis Perreault, Les affluents, Éditions du Renard, 2019 

Dans ce livre, le photographe québécois Louis Perreault photographie les nombreux affluents du ruisseau Gobeil, situé dans les Laurentides. La série d’images est à la fois une documentation de l’environnement entourant ces cours d’eau, et une œuvre très personnelle où se rejoignent la nature et l’humain et dans laquelle se dévoile progressivement un faisceau de relations entre des éléments pourtant distincts, tel le vol d’un oiseau, l’ombre d’une main sur une pierre, le feu et la force du courant d’un ruisseau au printemps. Un curieux index placé à la fin du livre révèle partiellement le sens des images et de leurs relations avec leurs contextes : parfois des gestes, parfois du mouvement, parfois un détail qui détermine une image.

Photos : Louis Perreault

Geoffroy Mathieu : La mauvaise réputation, Zoème, Marseille, 2020

La mauvaise réputation, c’est celle du ruisseau des Aygalades, qui traverse Marseille. Les 17 kilomètres du ruisseau relient Septèmes-les-Vallons, dans la banlieue Nord de Marseille, à la Méditerranée. Il est canalisé, parfois couvert, beaucoup délaissé, et revit progressivement grâce à des associations attachées à le revaloriser.

Geoffroy Mathieu a réalisé son projet et collaborant avec ces associations. Son livre est un portait de ce ruisseau, le long de son lit, avec son environnement parfois naturel, parfois urbain, parfois industriel ou post-industriel. Le photographe nous montre sans jugement à la fois sa beauté, sa destruction, sa pollution. Bien que nettoyé par des équipes de bénévoles, le ruisseau est souvent jonché de déchets à plusieurs endroits. Le photographe explique sa démarche et affirme avoir tenté d’éviter d’esthétisme son sujet :

: « J’hésitais un temps à photographier cette beauté tragique de peur d’esthétiser à outrance le réel, ce dont se méfient à juste titre les processus de représentation documentaire. […] je décidais de considérer le ruisseau comme une entité digne d’égard et d’empathie à qui je devais respect et honnêteté (plutôt que comme un objet ou un phénomène à documenter). Je choisis alors de photographier avec la même attention toutes ses beautés, sans distinction, celles dites propres ou naturelles et celles dites sales, c’est-à-dire en réalité non solubles dans le cycle du vivant. J’ai vu dans cette posture, le moyen d’être fidèle à mes émotions et ainsi peut-être de produire des images susceptibles de participer à la lutte que d’autres, citoyens, ont entreprises pour sa réhabilitation. »

Photos : Geoffroy Mathieu

J’ai déjà parlé du livre de Lucas Leffler Zilverbeek - Silver Creek, publié en 2019 dans un article précédent. C’est ce livre qui m’a poussé à regrouper des ouvrages photographiques portant sur des cours d’eau. Je vous invite à lire, si ce n’est déjà fait, mon article : https://www.alaindepocas.net/carnet/lucas-leffler-zilverbeek-silver-creek-the-eriskay-connection-2019

S’ajoute à cela mon récent texte à propos du projet Les enfants du fleuve de Yohanne Lamoulère.

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Lucas Leffler : Zilverbeek - Silver Creek, The Eriskay Connection, 2019

L’intérêt pour la photographie, et en particulier pour les livres photographiques, conduit parfois à une réflexion visant à mieux comprendre les mécanismes qui orientent les préférences envers certains photographes et ouvrages plutôt que d’autres. Certes, une part d’impulsivité ou d’attraction esthétique entre en jeu, mais l’influence de thématiques récurrentes est également perceptible. Ces thématiques agissent comme des fils conducteurs, établissant des correspondances entre différents éléments au sein d’une collection de livres photo.

Pour ma part, j’ai un grand intérêt, en photographie, pour les paysages, la nature, l’environnement, tout comme pour les ruines, les choses disparues ou en voie de l’être, et aussi pour ce qui est parfois invisible dans une image, mais, qui pourtant, fut là.

Et au sein de ces intérêts, il y a entre autres les cours d’eau et ce qui lie la photographie non numérique aux éléments chimiques et minéraux nécessaires à sa production et leurs impacts sur l’environnement.

Le livre de Lucas LefflerZilverbeek - Silver Creek, est précisément au confluent de ces deux sujets.

Lucas Leffler, photographe belge né en 1993, s’intéresse à la disparition progressive de l’industrie argentique, marquée par la fermeture successive de plusieurs sites de production emblématiques, notamment les usines Kodak à Rochester (États-Unis) et à Chalon-sur-Saône (France), ainsi que celles d’Ilford à Manchester (Royaume-Uni) et d’Agfa-Gevaert près d’Anvers (Belgique).

C’est dans cette usine flamande qu’il découvre, au sein des archives de la firme, un article d’un journal local, publié en 1973, faisant état d’un ruisseau, le bien nommé Zilverbeek (le ruisseau d’argent), dans lequel l’usine déversait des résidus industriels qui contenais une certaine quantité d’argent, matière indispensable à la production de films photographiques dont le principal agent photosensible se composait de sels d’argent.

Extrait du livre Zilverbeek, de Lucas Leffler

L’article faisait mention d’un ouvrier de l’usine qui avait découvert, à partir de 1927, la forte teneur en argent des boues du ruisseau. Il mit alors secrètement au point un procédé permettant de récupérer l’argent contenu dans les boues du ruisseau. Après les avoir asséchées, il les transportait vers une usine métallurgique locale afin d’en extraire le métal précieux. Grâce à cette méthode, il parvenait à récupérer environ une demi-tonne d’argent par an, un gain bien supérieur à son salaire à d’usine, qu’il quitta d’ailleurs pour se consacrer entièrement à ce petit commerce.

Extrait du livre Zilverbeek, de Lucas Leffler

Tout cela nous fait comprendre le sens du court texte imprimé au verso du livre : « C’est l’histoire d’un homme qui prend de la boue dans un ruisseau et la transforme en argent »

De nos jours, l’usine a depuis longtemps cessé ses activités et les boues du petit ruisseau ne contienne plus d’argent. 

Leffler prend le parti de considérer le récit de l’ouvrier comme un mythe, révélateur de l’époque de ce que l’on a appelé la période argentique de la photographie, ce qui l’incite à développer une série d’expérimentations à partir des boues du ruisseau, des archives de l’usine, et de photographies prises dans la zone du ruisseau et de l’usine elle-même.

Zilverbeek - Silver Creek, est composé de trois sections. La première montre des photographies d’archives, datant probablement des années 1930-1960, où l’on voit des ouvriers s’affairer à la production, des machines  ainsi que des photos de l’usine elle-même. La deuxième section, composée de deux pages imprimées sur un papier cartonné, contient un court texte relatant l’Histoire des rejets d’argent dans le ruisseau, ainsi que son extraction par l’ouvrier, accompagné de photographies d’archives de l’usine, en négatif. Enfin, la troisième section contient des photographies contemporaines prises par Leffler dans la zone du ruisseau. Celles-ci sont parfois assez métaphoriques, ne dévoilant pas directement leurs sujets, tels que des vues de la végétation autour du petit ruisseau, ou encore un homme debout avec une pelle et un seau, dans le brouillard. On devine qu’il s’agit du photographe, qui s’apprête, à l’instar du pionnier qui l’a précédé, de prélever de la boue au fond du Zilverbeek afin d’y rechercher des traces d’argent. D’autres images montrent un bac de développement photographique enduit de boue et une pelle souillée de cette même matière.

Extrait du livre Zilverbeek, de Lucas Leffler

Photo : Lucas Leffler

Photos : Lucas Leffler

Leffler a ensuite utilisé cette matière pour créer des « empreintes de boue » grâce à une technique de sérigraphie, dont une reproduction a été intégrée sous forme d’affiche dans le livre, à l’endos de laquelle on retrouve le texte de l’article de journal de 1973.

Mais ces boues ne contenaient plus d’argent. Leffler a donc dû ajouter de la matière sensible à la boue pour produire des images :

« Initialement j’altérais mes plans-films pour obtenir des taches et un rendu plus sombre. J’ai ensuite essayé d’ajouter à cette matière organique des couches de nitrate d’argent en gélatine liquide de manière à travailler la boue comme un papier photo et donc la rendre photosensible. J’effectue mes prises de vue en argentique ou en numérique que je transfère ensuite sur un négatif utilisé en chambre noire pour un tirage mudprint. »

Photo : Lucas Leffler

Et c’est ainsi que l’on constate que pour le photographe, ces expériences sont des sortes de tentatives de réinterprétation de ce qui fut au cœur de la production photographique avant le numérique, soit la photosensibilité de matières physique.

Leffler affirme que cette histoire l’a « d’abord intéressé pour la véracité des faits. C’est bien parce que cette histoire fabuleuse a réellement eu lieu que j’en ai fait une recherche. Mais, j’ai tenté de réinterpréter ces faits en les fictionnalisant. En me mettant moi-même en scène près du ruisseau, comme si j’étais l’ouvrier orpailleur (ou argentpailleur)». Leffler cite l’historien et théoricien Michel Poivert, qui affirme que : « Depuis une génération, la photographie connaît un courant sensible à sa rematérialisation alors que la culture numérique s’est imposée ».

Pour Leffler : « Le cœur de Zilverbeek c’est surtout la mythologie industrielle d’une pollution qui a abouti à créer un ruisseau d’argent. Mes photographies permettent de donner corps à ce qui semble une fable, un conte de fées. ».

« Donner corps », rendre visible, même métaphoriquement, un procédé disparu.

Dans ses expérimentations, la boue est autant la substance photosensible, que le « support » à une image, aussi difficile à percevoir soit-elle.

Leffler affirme n’avoir « […] jamais réellement extrait d’argent de cette boue comme il n’y en a plus depuis 50 ans. Par contre, il y a une dimension performative à ce travail, dans le sens où je revisite une histoire passée que je tente de réactiver par le biais de l’enquête et de la mise en scène ».

Ce livre témoigne parfaitement de cette pratique, faite de recherches dans les archives et sur le terrain, et d’expérimentation, et dont le plus grand intérêt est de dévoiler de manière subtile le processus même de la démarche de l’artiste.

Le travail de terrain et les expérimentations de Leffler ont ensuite évolué et une production importante d’œuvres en a résulté. Le livre ne contient qu’une seule des images réalisées avec la boue du Zilverbeek, mais on retrouve de nombreuses reproductions de ce corpus dans un document numérique disponible sur le site de l’artiste.

Extrait du livre Zilverbeek, de Lucas Leffler

Comme je le mentionnais au début de ce texte, je m’intéresse aux livres photographiques portant d’une manière ou d’une autre aux cours d’eau, ainsi qu’a la question de l’impact environnemental de la photographie de puis ses débuts.

Je vous invite à lire mes deux articles à ce propos :

Livres et ressources à propos de l’impact environnemental de la photographie

Les cours d’eau comme thématique de certains livres photographiques

LIENS EXTERNES ET RÉFÉRENCES : 

Site de l’éditeur de Zilverbeek : https://www.eriskayconnection.com/zilverbeek/ 

Vidéo de défilement des pages de Zilverbeek : https://vimeo.com/345891261 

Document visuel des œuvres de Lucas Lefler, sur son site Web : https://drive.google.com/file/d/1ElD5ZwsxJeqjadmgiyV_d8oGNjhLRc6w/view

« Zilverbeek, c'est l'histoire d'un homme qui transforme la boue en argent" : Rencontre avec Lucas Leffler ». : https://phototrend.fr/2021/11/zilverbeek-lucas-leffler-boue-en-argent/ 

L'ouvrier qui transformait la boue en argent dans Zilverbeek (Silver creek) :

https://fisheyemagazine.fr/article/louvrier-qui-transformait-la-boue-en-argent/ 

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Suzuki Mayumi : The Reconstruction Will


Voici ma cinquième publication de la série Pourquoi je me passionne pour la photographie.

J’ai été frappé par l’intensité du travail de la photographe japonaise Suzuki Mayumi qui porte sur le décès de ses parents suite au Tsunami qui a détruit leur ville, Onagawa, le 11 mars 2011. La catastrophe y avait fait près de 900 disparus

La photographe est allée sur place quelques jours après le Tsunami, dans l’espoir de retrouver quelques souvenirs et de réaliser son deuil. Elle cherchait une manière de rendre hommage à ses parents. Elle souhaitait exaucer ce qu’elle appelle un « veux de reconstruction ».

Le résultat est une série d’images et un livre intitulés Reconstruction Will.

Le père de la photographe était également photographe. Dans les décombres de la maison familiale, Suzuki Mayumi retrouve quelques objets : un appareil photo, les restes d’une chambre noire et des albums de photographies, le tout très abimés.

Photo : Suzuki Mayumi

Elle entreprends alors son projet de reconstruction en tentant de restaurer des photographies et de les exposer dans leur nouvel état, qui porte les traces de la catastrophe.

Photo : Suzuki Mayumi

Je m’intéresse beaucoup à la matérialité de la photographie, et à sa fragilité inhérente. Je m'intéresse aussi à la Méta-photographie, la photographie à propos de la photographie, comme on en retrouve dans ce projet

Photo : Suzuki Mayumi

J’ai eu la chance de découvrir le travail de cette photographe aux Rencontres photographiques d’Arles en septembre 2024. Son travail était présenté dans le cadre de l’exposition Répliques – 11/03/11, des photographes japonaises et japonais face au cataclysme.

Photo : Suzuki Mayumi

Ces témoignages de la fragilité de l’épreuve photographique m’ont également rappelé une exposition vue la veille, celle des images de Sophie Calle, présentées aux cryptoportiques, soit les sous-sol et fondation de la ville antique d’Arles. Ce lieu extrêmement humide et bien fourni en moisissures achevait la destruction déjà entamée par un dégât des eaux d’une série de photographies, et plus précisément celle intitulée Les aveugles. La volonté de Sophie Calle était de montrer une dernière fois ces images dont l’intégrité physique était déjà fragilisée par l’eau et l’humidité.

Le site de la photographe japonaise : https://www.mayumisuzuki.jp/therestorationwill

Le site de l’éditeur de son livre : https://www.ceibaeditions.com/store/books/the-restoration-will/

Un texte de l’artiste sur le projet, avec beaucoup d’images : https://www.lensculture.com/articles/mayumi-suzuki-the-restoration-will

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Thin Air, par Cemil Batur Gökçeer


Voici ma quatrième publication de la série Pourquoi je me passionne pour la photographie.

Elle a cette fois-ci pour sujet non pas un livre, mais une exposition, celle du photographe turc, et même Stambouliote (ici je me fais plaisir avec ce cocasse gentilé) Cemil Batur Gökçeer, que j’ai découvert aux Rencontres de la photographie à Arles en septembre dernier.

L’exposition présentait son projet intitulé Thin Air, dans lequel le photographe soumet ses pellicules 35mm à de doubles et parfois triples expositions. Ce processus laisse beaucoup de place à l’aléatoire des combinaisons de motifs, textures, couleurs, lumières et produit des images qui ne se laisse pas déchiffrer facilement, gardant pour elle un certain mystère. 

On retrouve dans ces images des motifs minéraux, aériens, parfois aussi des personnes, beaucoup d’interstices et aussi du feu. le tout, en se combinant, produit de nombreuses possibilités de lecture. Les expérimentations du photographe rapprochent des objets non contigus dans une même image, créant un surplus potentiel de sens.

Photo : Cemil Batur Gökçeer

Comment le photographe décide-t-il des sujets à accumuler dans une même photographie ? Est-il conscient des effets à produire lors des prises de vues ? Je ne le sais pas. Il laisse entendre qu’il maîtrise en partie le processus, en retournant, par exemple, sur la face opposée d’une montagne pour réimprégner une pellicule où s’était déjà inscrite l’autre face, quelques semaines ou mois auparavant.

Photo : Cemil Batur Gökçeer

Quoiqu’il en soit, pour ma part, je suis intrigué par ces images qui m’incitent à tenter de percevoir ce qu’elles contiennent de manière indirecte et ambiguë. N’est-ce pas étrange que l’accumulation de captations soit disant fidèles du « réel » par la photographie produise des images ambivalentes ou indécises ?

Lien vers le site du photographe : https://cemilbaturgokceer.net/Thin-Air

Lien vers la page web de l’exposition à Arles : https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/1556/cemil-batur-gokceer  

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Charbon blanc, du photographe belge Teo Becher


Dans son livre Charbon blanc, le photographe belge Teo Becher explore une ancienne vallée industrielle dans les Alpes françaises. Sans parenté avec Bernd et Hilla Becher, Teo Becher partage tout de même avec eux un intérêt pour les sites industriels.

Le livre, dont je me suis procuré un exemplaire à Arles en septembre 2024, a été publié en 2021 par les Éditions le bec en l’air, à Marseille.

Dans ce livre, dont le titre réfère à une expression ancienne pour nommer l’hydroélectricité, Teo Becher témoigne de la réalité à la fois industrielle et montagneuse de la vallée de la Maurienne, dans les Alpes françaises. Cette vallée fut autrefois truffée d’usines de production d’aluminium qui profitaient de la présence de barrages hydroélectriques à proximité.

Photo : Téo Becher

Les photographies de Becher évoquent à la fois ce passé industriel et la nature montagnarde.

Becher travail avec des pellicules argentiques, de grand ou moyen format. Afin d’évoquer à la fois la matérialité photosensible des films , ainsi que les traces laissées par le passé industriel dans les sols de la vallée, Becher a enterré une partie de ses négatifs couleur pour des périodes de quelques mois. À quelques occasions, l’expérience a laissé des marques sur les négatifs, que l’on retrouve sur les images du livre.

Photo : Téo Becher

Ce processus implique une autre manière d’exposer la pellicule à un environnement. Avant son exposition à la lumière, et à l’organisation euclidienne qu’impose l’objectif, la pellicule est soumise aux traces souterraines. Celles-ci restent mystérieuses. Le photographe laisse penser qu’il pourrait entre autres s’agir d’un effet des matières industrielles et potentiellement radioactives, encore présentes dans le sol, mais cela reste hypothétique. Dans un texte qui résume le passé industriel de la Maurienne, Becher évoque plutôt sa démarche comme étant un acte performatif :

“Dans cet acte performatif, je ne cherche pas à imprimer les traces d’une potentielle radioactivité présente dans le terrain, mais j’y fait immanquablement référence, en laissant la parole aux paysage tout en évoquant l’histoire des sciences et l’utilisation du territoire que en découle “

Ces photos “souterraines”, quasi abstraites, sont imprimées sur des pages en partie non massicotées, de manière à les dissimuler, augmentant leur aspect mystérieux.

Teo Becher, Charbon blanc.

Photo : Téo Becher

Le photographe a fait de nombreux séjours dans la vallée de la Maurienne et y a beaucoup marché. Le rapport de la marche avec la photographie est fréquent dans les pratiques photographiques. Il renforce le lien entre l’acte photographique et le sujet. Sujet photographe et sujet photographié. Marché dans un environnement donné c'est aussi s’y exposer

Le portrait de cette vallée que réalise Becher n’est pas que lié à ses antécédents industriels, c’est aussi un témoignage du temps passé par le photographe dans la région. Certaines images sont plus intimes, on devine une petite chambre, un rideau, une lampe. En extérieur, outre les montagnes et anciennes usines, il y a ausi des images moins évidentes, comme des pas dans la neige, ou une chute d’eau en glace. Celle ci évoque d’ailleur la fixation du temps par le processus photographique.

Photo : Téo Becher

Photo : Téo Becher

Lien vers le site web du photographe : https://teobecher.be/

Lien vers le site de l’éditeur : https://www.becair.com/produit/charbon-blanc/

Lien vers une entrevue avec Teo Becher : https://www.fisheyemagazine.fr/rdv/livre/charbon-blanc-teo-becher-lalchimiste-des-alpes/


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Virginia Hanusik : Into the Quiet and the Light: Water, Life, and Land Loss in South Louisiana


Voici ma deuxième publication de la série Pourquoi je me passionne pour la photographie.

Après Mark Ruwedel, je vous propose des images de la photographe américaine Virginia Hanusik qui documente depuis plusieurs années l’estuaire du fleuve Mississippi, au sud de la Louisiane.


On y voit un monde fragilisé par les changements climatiques et la pollution, qui laisse entrevoir des situations encore plus dramatiques dans l’avenir.

Photo : Virginia Hanusik

Virginia Hanusik documente le processus immuable de disparition d’un territoire, et de l’adaptation, bien temporaire, de ses habitants face à la montée des eaux.

Les images que je vous propose sont extraites de sa série "Into the Quiet and the Light: Water, Life, and Land Loss in South Louisiana".

La photographe vient d’ailleurs de publier un livre au même titre, édité par la Columbia Universitity Press : https://cup.columbia.edu/book/into-the-quiet-and-the-light/9781941332825

Lien vers le site Web de la photographe : https://www.virginiahanusik.com/

Lien vers un article intéressant à propos du livre : https://aperture.org/editorial/in-louisiana-a-photographer-charts-storms-and-weather-as-markers-of-time/

Enfin, ces images du Bayou louisianais me remettent en mémoire le magnifique film Beasts of the Southern Wild, réalisé par Benh Zeitlin en 2012. Une fable fantastique se déroulant dans un environnement pour le moins humide : https://en.wikipedia.org/wiki/Beasts_of_the_Southern_Wild

Je vous invite à me faire parvenir vos commentaires ou des suggestions de liens complémentaires.

Photo : Virginia Hanusik

Photo : Virginia Hanusik

Photo : Virginia Hanusik


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Dans ma bibliothèque, Livre, Paysage, Documentaire Alain Depocas Dans ma bibliothèque, Livre, Paysage, Documentaire Alain Depocas

Mark Ruwedel, Steidl, 2015


Photo : Mark Ruwedel

Dans la série Les Livres de ma bibliothèque

Le livre du photographe Mark Ruwedel intitulé Mark Ruwedel, a été publié par Steidl en 2015 à l’occasion de l’obtention du prix Scotiabank Photography Award. L’approche de Ruwedel du paysage, du territoire, me semble exemplaire. Proche de la sensibilité topographique des premiers photographes de l’Ouest américain du XIXe, mais aussi des inventaires formels à la Becher. Ce livre présente un échantillon des principaux grands projets photographiques de Ruwedel, dont The Italian navigator, The ice age, Westward the course of Empire, Uranium Landscapes, Crossing, et Nine bombs craters.

Ruwedel considère le livre photographique comme étant un mode idéal de présentation de ses photographies, en particulier pour l’importance que l’on peut y accorder aux séries d’images et aux rapprochements, formels ou thématiques, que la maquette permet de faire.

La plupart des séries explorent les paysages de l’Ouest américain selon des trajectoires différentes. Il s’agit d’un travail d’enquête, souvent réparti sur de nombreuses années, avec des approches thématiques rigoureuses. The Italian navigator, Nine bombs craters et Uranium Landscapes s’attardent sur les territoires marqués par les expériences atomiques qui s’y sont déroulées. Westward the course of Empire montre les ruines et les paysages transformés par le développement du chemin de fer au XIXe siècle, desquels il ne reste souvent que des vestiges évanescents, dont le sens ne prend forme que dans l’accumulation d’images que révèlent des motifs récurrents que l’on apprend à reconnaitre dans le paysage.

Photo : Mark Ruwedel

Photo : Mark Ruwedel

La série Crossing est peut-être la plus humainement émouvante et montre ce qui subsiste dans le paysage de la traversée de migrants, soit des objets abandonnés, dispersés sur le territoire, parfois inhospitalier, traversé. Les images de Ruwedel témoignent d’une réalité invisible qui n’apparait furtivement que par quelques traces encore présentes.

Photo : Mark Ruwedel

Cette série, qui porte sur l’invisibilité des migrants, fait penser au livre du photographe américain Raymond Meeks intitulé The Inhabitants qui documente les traces laissées par des migrants dans des campements illégaux abandonnés près de Calais en France ainsi qu’au Pays basque, à la frontière avec l’Espagne.

À la toute fin du livre de Ruwedel se trouve une cartographie des liens entre les thèmes principaux et secondaires de ses projets photographiques, répartie sur une ligne du temps :

Liens et informations complémentaires :

Le lien vers le site Web de l’artiste : https://markruwedel.com/

Le lien vers la page de l’éditeur à propos du livre : https://steidl.de/Books/Mark-Ruwedel-1522376154.html

Un lien vers une entrevue avec le photographe, dans son studio : https://www.youtube.com/watch?v=Kv64hL0VaGg&ab_channel=Tate

Les archives de Mark Ruwedel sont consultables à l’Université Stanford. Le catalogue en ligne permet de constater que deux numéros de la revue québécoise Ciel Variable y sont présents, soit le numéro 20 (automne 1992) dans lequel figurait un portfolio de photographies de Ruwedel (https://cielvariable.ca/numeros/ciel-variable-20-ameriques/mark-ruwedel/) et le numéro 43 (été 1998) qui contenait un texte du photographe intitulé Mark Ruwedel, Pictures of Hell, accompagné de photographies de l’Ouest américain (https://cielvariable.ca/en/issues/ciel-variable-43-territory-and-landscape/mark-ruwedel-pictures-of-hell-mark-ruwedel/ ).

Lien vers le catalogue en ligne des Archives de Mark Ruwedel : https://oac.cdlib.org/findaid/ark:/13030/c8f47x2n/.

Je vous invite à me contacter pour partager vos commentaires et des suggestions de liens complémentaires.


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